La niche de marché à travers le vécu de Mathieu.

A travers l’histoire de Mathieu, je vous propose de découvrir l’activité de niche, ainsi qu’une technique rédactionnelle appelée « storytelling ».

Mathieu, autoentrepreneur, a fait le choix d’une niche de marché.

Dès l’âge de 15 ans, Mathieu arrêta son avenir professionnel.

Un choix qui désespéra ses parents, couple de musiciens vivant davantage de leur passion que d’un salaire décent.

Son père promenait ses doigts chaque soir sur les cordes abruptes d’une contrebasse malmenée par les années et les concerts de fortune dans des bars aux scènes étroites, inadaptées à leur groupe de jazz. Composé de 6 musiciens professionnels et de deux amateurs, le groupe baladait son contretemps et la voix rauque de la chanteuse pour des cachets misérables.

Parfois, sa mère l’emmenait assister à ces concerts qui tenaient lieu de conversation aux couples sur le retour d’âge comme de la flamme amoureuse.

Il adorait son père, mais il détestait le jazz. Il lui préférait les mélodies plus douces dont sa mère enchantait les amateurs de musique classique.

La manière dont ses doigts caressaient les cordes tendues entre les montants de bois le fascinait. Avec quelle légèreté ils couraient délivrer les notes enchanteresses en ces trop rares occasions où elle pouvait se prévaloir d’un contrat de soliste !

Par chance, elle avait une place attitrée dans l’orchestre symphonique de leur région.

Souvent, les disputes éclataient au sein du couple.

Mathieu apprit très tôt qu’une famille se traduit par le budget dont elle dispose pour ses dépenses et « qui » l’alimente le plus.

Sa famille à lui était composée de deux artistes dépourvus du sens des contingences matérielles.

Il lui revint donc très tôt le rôle ingrat de tenir « les cordons de la bourse ».

Avec minutie, il consignait sur le tableur Excel de son PC les charges auxquelles ils devaient faire face, et les « rentrées d’argent ».

Cette tâche ne lui déplaisait pas. Elle lui donnait au contraire un sentiment étrange de puissance. Dans le trio qu’ils formaient, c’était lui l’adulte.

Il n’eut jamais vraiment l’insouciance d’un enfant.

Pourtant quelque chose en lui entretenait avec amour sa naïveté.

Mathieu taisait au monde sa part de candeur, sa foi en des choses si simples qu’elles semblaient n’avoir jamais quitté le stade de l’enfance.

Mathieu prépara un IUT de gestion des entreprises et intégra un cabinet d’expertise-comptable.

Les premiers temps, il était heureux, persuadé d’exercer le travail pour lequel il était fait.

Il aimait les chiffres, qu’ils prennent vie, donnent un sens à l’entreprise : la vie de celle-ci s’exposait là, au fur et à mesure qu’il enregistrait les factures d’achat, celles de vente, et traitait les opérations bancaires. Complétées par les écritures de paye, les charges trahissaient le besoin de chiffre d’affaires. Il adorait sentir le combiné téléphonique dans sa main, composait presque fébrile le numéro de téléphone du dirigeant de l’entreprise, pour lui annoncer qu’il devait à tout prix trouver de nouveaux clients. Dans l’urgence, l’évidence prenait une voie différente.

Il se sentait puissant, les chiffres pour lui avaient toujours été la vie.

Bien sûr, il y avait bien ces time sheets à remplir chaque fin de semaine. Il détestait devoir résumer cet engagement envers les clients à du temps consigné et facturable.

Il aimait prendre le temps de traiter ses dossiers avec toute la rigueur que trahissait son caractère d’introverti.

Avec la crise de la Covid 19, le monde bascula autour de lui. Il découvrit combien son espace de liberté était rogné. Remplir les time sheets lui était devenu insupportable. Les licenciements s’enchaînaient, les dirigeants avaient adopté une politique plus agressive envers les clients.

Il ne se reconnaissait pas dans cet univers.

Il n’était plus Bruce le tout puissant, mais un simple soldat envoyé au front d’une guerre incompréhensible.

Au début, le médecin lui prescrivit de simples anxiolytiques. Pendant deux mois, il réussit à tromper ses angoisses.

Et un petit matin, il était 6 heures et quart, il se leva complètement terrifié. Le sol se dérobait sous ses pieds. C’était un sol de mercredi Il dut poser sa journée de congé et s’attira des remontrances.

Le sol des autres jours de la semaine se tint tranquille. Seul le sol du mercredi faisait des siennes, lui ouvrant les portes de l’enfer.

Un mois s’écoula ainsi.

Le sol de mercredi se mêla de celui des autres jours, et la brèche ne se referma plus.

Il fut déclaré inapte au travail.

Mathieu sans ses chiffres n’existait pas.

Et personne ne semblait plus pouvoir faire quelque chose pour lui.

Sa famille essaya bien au début de le sortir de cette impasse, mais elle y renonça, impuissante, dévastée elle aussi par la tournure des événements.

Le petit Mathieu enfant chéri devenu cet adolescent timide, mais indispensable à leur équilibre familial, puis ce jeune adulte raisonné avait cessé d’exister. À sa place se dressait face à un eux, un type hagard, aux propos incohérents, aux cheveux hirsutes, et qui sentait mauvais. Le ménage de son appartement n’était jamais fait, le linge sale s’entassait, sauf les chaussettes.

Mathieu accumulait les paires de toutes les nuances de gris, de bleu, de noir et de marron depuis de nombreuses années.

Sa maladie l’avait rendu compulsif dans ses actes. Il dressait des piles de chaussettes à longueur de journée, cherchant ce qu’il appelait l’empilement parfait.

Et plus encore ! Personne ne savait qu’il aspirait en réalité à résoudre l’éternel problème de la chaussette qui ne trouve plus sa jumelle. Un phénomène de société qui touchait toutes les tranches d’âge , tous les foyers, dès lors que la femme assume seule ce rôle millénaire de l’accomplissement des lessives.

Un jour, le sol du mardi ne se déroba pas plus sous pieds. Et celui du mercredi non plus. Celui du jeudi emboîta le pas à ses confrères de guerre et tout rentra dans l’ordre. L’esprit embrouillé de Mathieu n’échappa pas à cette nouvelle volonté de son appartement, de rendre les choses stables, claires, compréhensibles, et parfaitement structurées.  Dans cette ambiance sereine, le jeune homme finalisa son gadget révolutionnaire. Rien ne séparerait plus des jumelles. Ni dans la corbeille à linge, ni dans la machine à laver, ni dans les tiroirs.

Mathieu entreprit des démarches pour faire breveter son invention.

Et s’immatricula sur le portail de l’Urssaf en tant qu’autoentrepreneur. Il obtint rapidement son K bis. Comme il avait un peu d’économies, il acheta rapidement l’équipement nécessaire à une fabrication en masse de son fabuleux gadget. Son appartement devint son atelier.

Son ancien métier lui avait permis d’avoir son petit carnet d’adresses à consulter pour savoir à quel professionnel faire appel pour définir et mettre en œuvre sa stratégie digitale.

Ils avaient tous leurs qualités, il les consulta tous. Quatre en tout. Seule Julie D. répondit à ses attentes. Sa vie de couple était rythmée par les querelles sur les chaussettes dépareillées.

Elle lui semblait donc l’interlocutrice idéale. Du moins au début.

Elle lui expliqua immédiatement que son activité relevait de la catégorie « activité de niche ».

Pour Mathieu, suivre le détail des explications relatives à la niche de marché releva d’un exercice difficile.

Il faut dire que Julie lui récita Wikipédia.

« Une niche de marché est un petit segment de marché (en termes de clientèle ou de produits). Le nombre d’acteurs du côté de l’offre y est restreint, mais la niche est considérée comme rentable, de par la structure peu concurrentielle de son marché. La demande doit être dans ce cas suffisante pour maintenir cette rentabilité. »

Est-ce à dire que Mathieu n’avait plus envie de parler chiffres et rentabilité ?

Peut-être.

Sa terrible dépression nerveuse avait fait de lui un adulte démuni qui ne devait son salut qu’à une idée enfantine.

Dans son esprit, les chaussettes habillaient ses mains et se trémoussaient comme des marionnettes.

Souvenir d’enfance où les chaussettes devenaient des personnes, vivaient des aventures et de belles histoires d’amour.

Julie n’avait pas l’imagination d’un enfant.

Elle appliquait consciencieusement les règles du marketing habituellement prônées dans ce contexte.

En premier lieu, vérifier que le gadget permettant de réunir deux chaussettes ensemble en toutes circonstances, y compris lors du passage en machine, réunissait les critères classiques :

1)- vérifier que la concurrence était quasiment inexistante,

2)-l’ultra spécialisation de l’activité,

3)-la possibilité de définir une segmentation du marché de la chaussette adéquate, c’est-à-dire de parvenir à un découpage efficient, de manière à répartir la clientèle en groupes homogènes et travailler sur une optimisation des actions de marketing en étant capable d’isoler le bon segment.

La segmentation du marché s’avérait difficile : en théorie, le marché de la chaussette touchait la majeure partie de la population.

Mais qui pouvait avoir besoin de regrouper les chaussettes par deux ?

Julie décida que ce besoin était celui des femmes à un moment très précis de leur existence : le passage en machine.

Mathieu essaya timidement d’émettre à voix haute l’idée que les chaussettes se ramassent par deux pour finir ensemble dans le panier à linge.

Dès lors, la réunion de deux chaussettes était un geste à accomplir au moment même ou leur(e) propriétaire les retirait de ses pieds.

Julie ne voulait rien entendre.

Elle occultait délibérément un segment du marché : les hommes pour qui la chaussette avait une signification. Le choix d’une paire de chaussettes obéit pour certains à un cadre très précis. Ces hommes lisent le blog de l’homme parfait en toutes circonstances et ne consultent pas un site qui traite des problèmes de linge sale des femmes !

Mathieu ne se reconnaissait pas dans la valeur exprimée par Julie.

À la décharge de cette dernière, je dirai que créer un site qui puisse séduire aussi bien les hommes que les femmes, qui puissent toucher des tranches d’âge différentes, est une tâche ardue.

Mais une mission qu’il n’est pas impossible de mener à bien.  Il est important de se poser les bonnes questions au bon moment pour assurer à son entreprise un avenir.(Voir mon article sur la conception d’un site internet).

Réfléchir aux valeurs que vous voulez véhiculer est un impératif, mais elles doivent être tournées vers votre clientèle cible.

L’équilibre peut être difficile à trouver entre vos aspirations et les attentes des internautes. Et même si le consommateur est en recherche d’authenticité, pensez-vous qu’il puisse se reconnaître dans les souvenirs enfantins de Mathieu et trouver que des chaussettes vivant trop d’aventures ensemble ne supportent pas d’être séparées ? La chaussette ne s’use pas au talon à force de désespoir (sauf pour le héros de cette histoire).

Quelle que soit la thématique abordée, entreprendre est toujours une question d’équilibre.

J’espère que cet article, malgré son début un peu triste, vous aura amusé. Et surtout, qu’il vous aura permis de comprendre les premières bases de la construction d’une stratégie de marketing à travers le cas très concret d’une activité de niche.

La rédaction que j’ai adoptée est celle du storytelling. Elle s’appuie sur un schéma narratif et l’histoire d’un héros. Le gadget créé par Mathieu, appelé à être commercialisé sous le nom d’une marque est l’adjuvant. L’élément qui vient aider le héros dans sa quête du bonheur (celui de ses chaussettes). Le héros n’est effectivement pas forcément le bénéficiaire final de la quête.

Cette technique de marketing, inspirée des contes,  est très largement utilisée par les marques lors de leurs spots publicitaires. En matière de communication, la tendance n’est plus à la valorisation directe du produit. Il n’est plus sous le feu des projecteurs. Le premier rôle est confié au consommateur. La marque n’est là que pour l’aider à accomplir sa quête.

L’impact psychologique est bien plus fort !

Pensez-y quand vous communiquerez autour de votre produit.

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